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La Cour Européenne de Justice  a-t-elle porté un coup d’arrêt à la location touristique de courte durée ?

Le 19 octobre 2020
Selon la CJUE a le changement d'usage et la compensation imposés à tout propriétaire voulant dédier un logement à la location touristique de courte durée n'est pas contraire au droit européen. Paris l'emporte sur AIRBNB

Arrêt de la CJUE C-724/18 et C-727/18 Air BNB/ Ville de Paris

 

Rappel des dispositions de l’article L631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation

Les articles L631-7 et suivants du CCH autorisent les conseils municipaux des communes situées « en zone tendue » de réglementer  la possibilité de louer un logement pour de courtes durées à des personnes de passage.

Ainsi, dans les villes de plus de 200.000 habitants, il est possible au propriétaire d’une résidence principale de la louer à des touristes de passage dans la limite de 120 jours par an. Les locataires peuvent faire de même, dans le cas, fort rare, où leur bail ne leur interdit pas de sous-louer. En outre, pour pouvoir contrôler que la limite des 120 jours est respectée, la Ville de Paris oblige les propriétaires à s’enregistrer et les plateformes à mentionner le numéro d’enregistrement du propriétaire sur les annonces.

En dehors de ce cas, la location d’un bien à usage d’habitation, en meublé touristique, devenue si courante, grâce aux plateformes de type AIRBNB, suppose d’obtenir, préalablement, une autorisation de changement d’usage, afin que le bien, classé comme local à usage "d’habitation", soit répertorié comme local à usage "d’hébergement hôtelier".

A Paris, cette autorisation implique de transformer préalablement une même surface de bureaux, commerce ou activité en logement, voire, dans certains quartiers, de transférer vers l’habitation une surface double à celle du logement que l’on souhaite destiner à la location meublée touristique de courte durée.

Concrètement, le propriétaire doit, soit transférer sur le logement qu’il souhaite dédier à la location touristique de courte durée,  la commercialité d’un bien à usage de commerce, bureaux ou activité lui appartenant (qu’il s’oblige donc à transformer en habitation), soit acheter la commercialité à un propriétaire tiers ayant entrepris de transformer un immeuble commercial en immeuble à usage d’habitation.

Il existe ainsi un marché fort onéreux et opaque d'achat et vente de "mètres carrés de commercialités", dont les acteurs principaux sont les offices HLM et les propriétaires institutionnels (banques, mutuelles, etc). 

La location habituelle, à des touristes de passage, sans autorisation, d’un logement, ne constituant pas la résidence principale de son propriétaire, expose à une amende civile de 50.000 euros et à une astreinte de 1000 euros par mètre carré et par jour jusqu’à la régularisation de la situation par le retour du logement à la résidence principale de son propriétaire ou sur le marché de la location classique.

 

Le contexte de la décision de la Cour Européenne de Justice

Deux propriétaires, condamnés par le Tribunal de Grande Instance de Paris par deux jugements confirmés en appel, au paiement d’une amende civile et à redonner à leur bien son usage d’habitation se sont pourvus devant la Cour de Cassation afin de faire valoir que les dispositions des articles L 631-7 et L631-7-1 du Code de la Construction et de l’Habitation et singulièrement la réglementation mise en place par la Ville de Paris, seraient contraires à la Directive 2006/123/CE sur la libre circulation des services.

La Cour de Cassation a donc, par une question préjudicielle, saisi la Cour Européenne de Justice afin qu’elle se prononce sur la compatibilité de la réglementation applicable avec les dispositions de cette directive et a sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour Européenne, par un arrêt 17-26.158 du 15 novembre 2018.

Depuis, les très très nombreuses procédures engagées par la Ville de Paris, ont elles-mêmes fait l’objet de décisions de sursis à statuer

C’est dire si la décision rendue le 22 septembre 2020 était attendue

Que dit la CJUE ?

Pour la Cour, la législation nationale instituée par les articles L631-7 et L631-7-1 du CCH n’est pas contraire aux dispositions de la réglementation européenne qui autorise les Etats à subordonner et encadrer l’exercice d’une activité, si cet encadrement est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général, n’est pas discriminatoire, et reste proportionné au but poursuivi, c’est à dire ne puisse pas être atteint par une mesure moins contraignante.

En l’occurrence, la Cour a reconnu que la « lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée » et la « protection de l’environnement urbain » constituent des objectifs pouvant justifier que la possibilité de donner un bien à la location de courte durée soit réglementée et que cette réglementation puisse subordonner cette activité à une autorisation préalable et même impliquer une compensation.

Elle retient, en effet, pour admettre la proportionnalité de la réglementation nationale, que celle-ci exclut de l'autorisation préalable et de la compensation, les logements constituant la résidence principale du propriétaire et qu'elle est circonscrite aux villes les plus importantes.

La Cour reconnaît en outre que l’obligation d’une autorisation préalable est effectivement justifiée et proportionnelle avec le but poursuivi, dès lors qu’un système seulement déclaratif assorti de sanctions serait insuffisamment opérant.

Pour autant, cet arrêt renvoie aux autorités nationales, et notamment aux juridictions nationales, l’obligation de s’assurer que les mécanismes de compensation mis en place localement par les communes répondent effectivement aux critères de transparence et de proportionnalité exigés, et ce non pas au niveau de la commune dans son ensemble mais bien quartier par quartier.

Ainsi, à Paris, il est envisageable que la Cour de Cassation, statuant sur les pourvois des deux propriétaires, casse les arrêts rendus par la Cour d'Appel de Paris, en raison d'une absence de démonstration, par la Ville de Paris, de ce que, dans les quartiers où se situaient les biens des deux propriétaires, la pratique de la location de courte durée entrainait effectivement une insuffisance de l'offre locative classique. 

La Cour de Cassation pourrait ainsi imposer que la Ville soit en mesure de justifier au cas par cas et  arrondissement par arrondissement, voire quartier par quartier, que l’exigence d’une compensation soit nécessaire au regard d’un accroissement par trop important des logements dédiés à la location de courte durée dans l’arrondissement ou le quartier considéré et de l'existence effective d'une pénurie de logements destinés à la location de longue durée.

Surtout, l’arrêt de la Cour Européenne de Justice invite la Cour de Cassation à vérifier que le système de compensation mis en place soit clair, compréhensible et accessible à "des conditions de marché raisonnables".

Or sur ce point, il est certain qu’il est quasiment impossible à une personne non propriétaire de biens commerciaux pouvant être offerts à la compensation, d’acquérir une commercialité et que dès lors le changement d’usage pourrait être considéré comme discriminatoire, car réservé aux « riches »

 

Delphine Berthelot Eiffel

Avocat

Paris