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Vente d’immeuble et vices cachés : une réparation pouvant aller jusqu’à l'indemnisation de la démolition et dela reconstruction

Le 23 août 2020
vente immobilière et vices cachés. Le vendeur de mauvaise foi peut être condamné à indemniser l'acquéreur du coût de démolition et reconstruction de la maison vendue sur le fondement de l'article 1645 du CC, même si le coût est supérieur au prix de vente

Cour cass 3ème civile 30 janvier 2020 numéro 19-10.176

 

Vices cachés : comment  les définir ?

Selon l’article 1641 du Code Civil « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus »

L’article 1642 de ce même code ajoute «  le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre par lui-même »

Ce sont donc seulement des vices cachés qui diminuent gravement l’usage de la chose acquise ou que la rendent impropre à sa destination qui peuvent donner lieu à garantie du vendeur.

Selon l’article 1643 du Code Civil, le vendeur est tenu des vices cachés « quand bien même, il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie »

De cet article, il faut retenir que le vendeur qui connait le vice et n’en a pas informé l’acquéreur ne peut pas limiter sa garantie, les clauses d’exclusion de garantie n’étant alors pas valables.

Ajoutons ici que le vendeur professionnel qui vend à un acquéreur profane est réputé connaitre les vices cachés et est donc considéré comme un vendeur de mauvaise foi, ne pouvant limiter sa garantie, quand bien même il n’aurait pas eu connaissance du vice non apparent de la chose vendue (arrêt cour de cassation du 1er janvier 1965 n°61-10952)

Ajoutons encore que la jurisprudence admet assez largement qu’un particulier ne puisse appréhender la gravité de ce qui pouvait lui apparaître comme un simple défaut, de sorte que même des désordres apparents mais dont l’acquéreur profane ne pouvait percevoir qu’ils correspondaient à un véritable vice de nature à rendre le bien impropre à sa destination ou à lui imposer des réparations structurelles qu’il ne pouvait apprécier, peuvent être considérés comme constitutifs de vices cachés.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de Cassation, le vendeur et l’acquéreur étaient des particuliers, et le bien immobilier vendu était dans un mauvais état apparent. L’acquéreur avait été informé par le vendeur que l’apparition de fissures avait donné lieu à une procédure judiciaire ayant abouti à un jugement en date du 25 septembre 1997 et avait conduit à des travaux de consolidation en 2003, soit 4 ans avant la vente intervenue en 2007 au prix de 98.000 euros.

De nouvelles fissures étant apparues après la vente, l’acquéreur avait appris au cours de l’expertise judiciaire diligentée, qui avait conclu à l’impossibilité de procéder à une réparation sans démolition et reconstruction, que le jugement rendu en 1997 avait déjà conclu à la nécessité de démolir et de reconstruire la maison, ce que le vendeur ne pouvait ignorer mais qu’il avait caché à l’acquéreur, le jugement de 1997 ne lui ayant pas été communiqué.

La mauvaise foi du vendeur était donc acquise.

Par ailleurs, les juges du fonds ont admis que, même si la maison vendue, présentait des désordres apparents, et que l'acquéreur avait été informé du litige ayant abouti à la réalisation des travaux de confortation, l’acquéreur n’avait pu se convaincre par lui-même de l’ampleur et des conséquences des désordres visibles, en absence de communication du jugement ayant conclu à l'impossibilité de remédier aux désordres sans démolir et reconstruire.

La clause d’exonération de garantie contenue à l’acte étant écartée, le vendeur ne pouvait éviter sa garantie, mais pour quelle indemnisation ?

Vices cachés : quelle réparation ?

Selon l’article 1644 du Code Civil, l’acquéreur a le choix « de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix »

Autrement dit, l’acquéreur a le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire.

A cela l’article 1645 du Code Civil ajoute « si le vendeur connaissait les vies de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur »

En l’espèce, l’acquéreur avait choisi dans un premier temps de conserver le bien acquis, de le démolir et de le reconstruire, conformément aux conclusions de l’expertise et de demander à la fois une réduction du prix et la condamnation du vendeur à l’indemniser à hauteur du prix de la démolition et de la reconstruction. Il demandait ainsi 238.291 euros dont 60000 € au titre de la réduction du prix.

La Cour d’appel de Bourges qui avait fait droit à la demande de l’acquéreur a vu sa décision cassée par un premier arrêt de la Cour de Cassation (cass civ 14 décembre 2017 n°16-24170) au motif que la cour d’appel avait violé la règle dite de « la réparation intégrale » du préjudice, selon laquelle un préjudice doit faire l’objet d’une réparation ne laissant résulter ni perte, ni profit, principe que les juges du fond avaient méconnu en accordant une double réparation à un seul et même préjudice consistant, en l'espèce, en la perte de l’utilité du bien acquis.

Devant la Cour de renvoi de Lyon, l’acquéreur a donc choisi d’abandonner sa demande de restitution partielle du prix et de ne conserver que sa demande d’indemnisation du coût de la démolition et de la reconstruction pour une somme de 129.931 euros, soit un montant supérieur au prix de vente.

L’acquéreur ayant à nouveau obtenu gain de cause, le vendeur  s’est une fois de plus pourvu en cassation, espérant obtenir la cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon, en faisant valoir :

En premier lieu : que l’acquéreur ayant renoncé tant à l’action rédhibitoire qu’à l’action estimatoire, il ne pouvait obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1645 du Code civil, cet article étant destiné, selon le vendeur à permettre l’indemnisation de préjudices annexes aux actions rédhibitoires ou estimatoires telles que l’indemnisation des loyers exposés ou du trouble de jouissance subi pendant la réalisation des travaux destinés à remédier au vice constaté ou encore la perte de revenus du fait de l’impossibilité de louer le bien acquis pendant les travaux, par exemple.

En second lieu : que l’indemnisation accordée pour le montant du coût de la démolition et de la reconstruction, d’un montant supérieur au prix de vente, aboutissait à un enrichissement sans cause de l’acquéreur dès lors que celui-ci avait acheté une maison présentant de nombreux désordres mais avait été mis en situation d’avoir, en définitive, une maison neuve, ne présentant aucun défaut.

Ces deux arguments ont été balayés par la Cour de Cassation.

La Cour rappelle ainsi que, selon sa jurisprudence constante, l’action en indemnisation de l’article 1645 du code civil peut être exercée indépendamment des actions de l’article 1644 de ce même code (cass com 19 juin 2012 n°11-13176 – cass civ 16 septembre 2012 n°11-22399 et cass civ 24 juin 2015 n°14-15205), de sorte qu’en présence d’un vice caché, l’acquéreur peut parfaitement choisir de se placer exclusivement sur le terrain indemnitaire de l’article 1645, lequel soulignons-le ici n’est pas celui de la responsabilité contractuelle ou délictuelle classique mais, bien, un régime indemnitaire particulier, né de l’obligation légale du vendeur de garantir l’acquéreur des vices cachés de la chose vendue.

Elle juge ensuite que dès lors qu’il était établi qu’il ne pouvait être remédié aux désordres viciant la maison vendue que par sa démolition et sa reconstruction, le paiement du coût de cette démolition/reconstruction pour sa totalité était bien la seule manière d’indemniser intégralement le préjudice subi, sans qu’il puisse être considéré que la condamnation prononcée par les juges du fond conduisait à un enrichissement sans cause de l’acquéreur.

Ainsi est-il posé qu’une réparation en nature (le remplacement de la chose vétuste) peut être obtenue contre le vendeur de mauvaise foi, sans qu’il importe que cette réparation représente un coût supérieur au prix de bien vendu.

A noter toutefois que, pour écarter l’argument de l’enrichissement sans cause et de la violation du principe selon lequel l’indemnisation intégrale d'un préjudice interdit qu’il en résulte un profit, la Cour d’appel de Lyon avait pris soin de relever dans sa décision, que la maison reconstruite avait la même surface que l’ancienne.

Pour autant, il n’a été appliqué aucun coefficient de vétusté, ni examiné si, par les matériaux utilisés pour la reconstruction, la nouvelle maison reconstruite ne serait pas de bien meilleure qualité que la maison vendue.

Ainsi la Cour de Cassation a bel et bien permis un enrichissement de l’acquéreur, qui pour le prix de 98.000 € a eu, en définitive, une maison neuve.

Ce faisant, elle semble avoir enlevé tout intérêt à l’exercice de l’action estimatoire

Vices cachés : l’action estimatoire a-t-elle encore un intérêt ?

Il a été vu ci-dessus que l’acquéreur d’un bien présentant des vices cachés peut obtenir l’indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article 2645 du Code Civil et ainsi obtenir le remplacement de la chose viciée: en l’espèce sa démolition/reconstruction.

L’acquéreur sera d’autant plus poussé vers le choix d’une action fondée sur l’article 2645 du Code Civil que le premier arrêt rendu par la Cour de Cassation dans cette affaire  (14 décembre 2017 n°16-24170) avait jugé que « la restitution du prix de vente à laquelle le vendeur est condamnée à la suite de la réduction du prix prévue à  l’article 1644 du Code Civil ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable »,  pouvant  être mis en partie à la charge du notaire ou de l’agent immobilier.

En effet, l’acquéreur avait demandé devant la Cour d'Appel d’Angers que les condamnations prononcées à l’encontre du vendeur soient supportées par l’agent immobilier et le notaire à hauteur de leur responsabilité dans la réalisation du dommage, soit à hauteur de 10% chacun, pour manquement à leur obligation de conseil et d’information.

Ainsi, si la Cour de Cassation avait estimé que leur responsabilité était engagée dès lors que l’agent et le notaire n’avaient pas demandé au vendeur de leur fournir le jugement de 1997 et ne l’avait donc pas communiqué à l’acquéreur, elle avait expressément exclue que cette responsabilité puisse être appliquée à la restitution du prix, seule la condamnation indemnitaire pouvant être mise à la charge du notaire et de l’agent immobilier à hauteur de leur responsabilité dans la réalisation du dommage.

Or, la question peut ne pas être neutre, notamment en présence d'un vendeur particulier insolvable, au contraire des notaires et agents immobiliers bénéficiant d'assurances professionnelles

Delphine Berthelot-Eiffel 

Avocat - Paris - Droit immobilier