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Pas de bail commercial après l’échéance d’un bail dérogatoire pour des locaux à usage exclusif d’entrepôt

Le 01 octobre 2025
l’échéance d’un bail dérogatoire portant sur des locaux à usage exclusif d’entrepôt ne pouvant donner naissance à un bail soumis au statut, le preneur ne peut revendiquer le bénéfice du droit de préemption de l'articleL146-5-46-1 du Code de commerce

Cour d’appel d’Aix en Provence, chambre 11 du 18 mars 2025 n°21/01581

Les données du litige

 Une société A est locataire d’un local dit « local à vélos » appartenant à un syndicat des copropriétaires, avec lequel elle a signé un bail dérogatoire venu à expiration, sans que le syndicat des copropriétaires ne manifeste sa volonté de voir la société A quitter le local.

 La société A est également locataire d’un autre local à usage d’entrepôt, appartenant à une SCI X.

 À la suite d’un appel d’offre, le local à vélo est vendu par le SDC à une SCI Y.

La société A actionne alors la SCI Y et le SDC afin de voir juger qu’elle était titulaire d’un bail commercial depuis l’expiration du bail dérogatoire signé entre elle et le SDC et que, dès lors, la vente, intervenue au mépris de son droit de préemption, devait être annulée.

 Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel la déboute de ses demandes après avoir écarté la naissance d’un bail commercial entre le SDC et la société A, et en conséquence, l’existence d’un droit de préemption à son profit.

Cette décision nous impose de rappeler le mécanisme des baux dérogatoires de l'article 145-5 du Code de Commerce et du droit de préemption institué par l'article L 145-46-1 de ce même code.

Elle rappelle les conditions d'application du statut des baux commerciaux.

Que dit l’article 145-5 du Code de Commerce instituant les baux dérogatoires ?

L’article 145-5 du Code de Commerce, dispose que :

« Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre (comprendre du statut des baux commerciaux) à la condition que la durée totale du bail ou des baux successives ne soit pas supérieure à trois ans »

Il précise que «  À l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux »

Il dispose encore en son deuxième alinéa que « si à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre »

La position du preneur était, qu’ayant signé un bail dérogatoire en application de l’article 145-5 du Code de commerce, et ayant été laissé dans les lieux à son expiration, il bénéficiait d’un nouveau bail soumis aux dispositions des articles 145-1 et suivants de ce même code et que, ce bail ayant pris effet le lendemain de la date à laquelle le bail dérogatoire était venu à échéance, il aurait du bénéficier du droit de préemption prévu à l’article L 145-46-1 du code de commerce.

La Cour d’appel a rejeté ce raisonnement

Pour elle, la destination des locaux à usage exclusif d’entrepôt excluait la formation d’un bail commercial à l’issue du bail dérogatoire

Avant d'examiner les conditions de l'application du statut des baux commerciaux, rappelons les dispositions de l'article L 145-46-1 du Code de Commerce. 

Que dit l'article L 145-46-1 instituant le droit de préemption du preneur en cas de vente des locaux loués ? 

Cet article institué par la réforme de 2014, modifié en 2022 a mis en place un droit de préemption au profit des locataires en cas de vente des locaux commerciaux dans les termes suivants :

Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.

Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.

Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix. Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire. Cette offre de vente est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception. L'offre qui n'a pas été acceptée dans ce délai est caduque.

Le locataire qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet.

Les dispositions des quatre premiers alinéas du présent article sont reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification.

Il s'agit ainsi d'un droit assez similaire au droit de préemption institué par la loi du 6 juillet 1965, au profit des locataires d'habitation à usage de résidence principale.

L'article exclut néanmoins son application dans plusieurs hypothèses, par son dernier paragraphe, selon lequel :

Le présent article n'est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial. Il n'est pas non plus applicable à la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. Il n'est pas non plus applicable lorsqu'il est fait application du droit de préemption institué aux chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du code de l'urbanisme ou à l'occasion de l'aliénation d'un bien sur le fondement de l'article L. 213-11 du même code.

L'apport de l'arrêt commenté est de venir préciser que le droit de préemption ne peut s'appliquer que pour autant que le statut des baux commerciaux soit applicable.

Rappel sur les conditions d’application du statut des baux commerciaux

L’article L 145-1 du bail commercial définit le bail commercial comme un bail portant sur des locaux « dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat immatriculée au registre national des entreprises accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre aux baux de locaux accessoire à l’exploitation d’un fonds de commerce »

S’il est possible aux parties d’opter volontairement  pour l’application du statuts des baux commerciaux pour la location de baux à usage d’entrepôt, la Cour  relève en l’espèce que le bail dérogatoire signé ne permettait pas d’établir une volonté commune des deux parties d’opter pour la naissance d’un bail commercial à l’issue du bail dérogatoire dès lors que le bail précisait que les biens étaient destinés exclusivement à l’usage d’entrepôt, sans que soit envisagé la location du local pour l’exploitation d’un fonds de commerce ou d’une autre activité.

Pour la Cour, « le termes exclusivement, limitant de façon claire la destination des lieux à celle de stockage », et l'activité de stockage n’entrant pas "dans le champ d’application des baux commerciaux », le bail né à l'expiration du bail dérogatoire ne pouvait être un bail commercial, bénéficiant du droit de préemption instauré par l'article L  145-46-1 du code de commerce

 Ajoutons que concrètement, la société A n’exploitait aucun fonds de commerce, ni dans les locaux qui lui avaient été loués par le syndicat des copropriétaires ni dans les locaux qu’elle louait à proximité à la SCI X, de sorte que la Cour a exclu que le local loué au syndicat des copropriétaires puisse être considéré comme une annexe nécessaire à l’exploitation du local commercial loués à la SCI, et bénéficier du statuts des baux commerciaux de ce fait

Delphine Berthelot Eiffel