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Point de départ de la prescription et changement d’affectation d’un lot de copropriété : une histoire de dangerosité

Aujourd'hui
La connaissance de la dangerosité de la transformation de lots de débarras en lots d'habitation est le point de départ de la prescription d'une action en remise des lots dans leur état d'origine, et non la connaissance antérieure de la transformation

Cass 22 mai 2025 n° 23-19.387

L’histoire

Les copropriétaires de divers lots de copropriété à usage de débarras situés au 6ème étage d’un immeuble transforment lesdits lots à usage d’habitation.

À la suite d’un départ d’incendie, le rapport d’un architecte commis par le syndicat conclut le 24 mai 2017 à la dangerosité de l’escalier du 6ème étage, du fait de la difficulté d’évacuation de ses occupants en cas d’incendie.

Se fondant sur les conclusions de ce rapport, les copropriétaires adoptent le 13 juillet 2017, une résolution interdisant d’affecter à usage d’habitation les lots qualifiés de débarras par le règlement de copropriété

Par action engagée devant le Tribunal judiciaire, les copropriétaires concernés engagent alors une procédure devant le Tribunal judiciaire afin d’obtenir l’annulation de la résolution, comme étant contraire au droit des copropriétaires de changer l’affectation de leurs lots, dès lors que la nouvelle affectation donnée aux lots considérés n’est pas contraire à la destination générale de l’immeuble et ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.

 Reconventionnellement, le Syndicat des copropriétaires sollicite le rétablissement des lots en question dans leur état initial de débarras et donc la suppression des installations sanitaires. 

La décision de la Cour d’Appel

Pour condamner les copropriétaires concernés à remettre leurs lots dans leur état de débarras et donc à supprimer les installations sanitaires et de cuisine, la cour d’appel écarte la prescription soulevée en défense par les copropriétaires et juge que l’affectation des lots de débarras à l’habitation était contraire à la sécurité des copropriétaires de l’immeuble du fait de l’augmentation du risque pour l’ensemble des habitants, en cas de nécessité d’une évacuation rapide dudit immeuble.

Sur la prescription

Depuis la loi Elan du 23 novembre 2018, l’article 42 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1965 soumet ces actions au délai quinquennal et son point de départ selon le droit commun.

Autrement dit, à l’article 2224 du Code Civil, selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer »

En copropriété, sont, par exemple, soumises à ce délai, les actions du syndicat en recouvrement des charges de copropriété contre les copropriétaires défaillants, les actions en répétition de charges indues, les actions en responsabilités pouvant intervenir entre copropriétaires ou entre le syndicat et des copropriétaires relativement à des manquements aux dispositions du règlement de copropriété relatives aux travaux ou à la jouissance des lots ou des parties communes par exemple

Devant la Cour, les copropriétaires avaient soulevé que le syndicat des copropriétaires ayant adopté en 2004, une résolution décidant de la pose de compteur individuels d’eau dans les lots à usage de débarras équipés de cuisine ou sanitaires, sa demande visant à obtenir le retour à l’affectation desdits lots à leur usage initial était nécessairement prescrite depuis 2014 (la prescription étant alors décennale et quinquennale)

Les copropriétaires estimaient en effet que la décision prise en 2004 établissait que la copropriété avait alors nécessairement connaissance du changement d’affection des lots de débarras du 6ème étage.

Estimant que la copropriété n’avait pas ratifié, par un vote, l’usage à titre d’habitation des lots 17,18 et 19, le point de départ de la prescription ne pouvait être que la date à partir de laquelle la copropriété avait été informée de la non-conformité de l’escalier d’accès au 6ème étage au regard des règles de sécurité incendie, notamment pour l’évacuation des occupants, à savoir le 24 mai 2017, date du rapport de l’architecte.

La Cour de Cassation a validé cet arrêt en relevant que la cour d’appel avait pu, souverainement, retenir qu’en dépit de l’ancienneté de l’occupation de lots du 6ème étage comme logements, le syndicat des copropriétaires n’avait eu connaissance de la dangerosité que présentait cette affectation que la 24 mai 2017.

Sur l’atteinte aux droits des autres copropriétaires

L’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 pose que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot » et « qu’il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l’immeuble »

Pour faire admettre que le changement d’affectation des lots de débarras en habitation ne portait pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, les copropriétaires concernés avaient fait valoir qu’en  justifiant l’interdiction d’user de leurs parties privatives à usage d’habitation, par le risque crée par l’occupation à titre habituel quotidien et à usage d’habitation, de lots équipés notamment d’installations de cuisine et par les aléas humains créant des risques d’incendie, la cour d’appel avait violé l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965, par adjonction audit article, d’un critère lié à la sécurité des occupants des lots concernés, que cet article ne comporte pas.

Les copropriétaires concernés estimaient par ailleurs que justifier leur condamnation à remettre leur lot dans leur état initial par la dangerosité de l’escalier menant au 6ème étage, dont la pente rendait difficile le passage d’un brancard, était abusif dès lors que le rapport avait établi que l’ensemble de l’escalier de l’immeuble présentait des non-conformités empêchant le passage de brancards

Rejetant cet argument, la Cour de Cassation a admis que la Cour d’appel avait pu, sans abus, relever que le fait que l’ensemble de l’escalier ne permette pas le passage de brancards, faisait que l’accroissement du nombre d’habitants consécutifs au changement d’affectation des lots de débarras, en aggravant les risques des autres habitants en cas d’incendie, impliquait que la restriction apportée aux droits des copropriétaires des lots litigieux, était justifiée par des considérations tenant à la conservation de l’immeuble

Delphine Berthelot Eiffel