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Bail commercial : Portée et contenu de l’obligation de délivrance du bailleur

Aujourd'hui
L'obligation de délivrance du bailleur d'un local commercial : l'importance de la conformité du local avec la destination autorisée au bail et la limite des clauses contractuelles visant à diminuer les obligations du bailleur

Le principe :

L’article 1719 du code civil prévoit que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée »

L’article 1720 ajoute  que « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèces. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaire, autres que les locatives »

En d’autres termes si le locataire à l’obligation de payer les loyers, le bailleur à en contrepartie l’obligation de délivrer au locataire, pendant toute la durée du bail, un local lui permettant d’exercer l’activité autorisée au bail, c’est-à-dire ayant les caractéristiques physiques et juridiques permettant au preneur de disposer d’une jouissance paisible de la chose louée, non seulement à son entrée dans les lieux mais également pendant le cours du bail et de ses renouvellements.

La question cruciale de la conformité du local loué à sa destination contractuelle

Pour les baux commerciaux, l'article précisant la destination des lieux loués est l'un des plus important.

C'est lui qui va définir les activités que le preneur pourra développer dans le local loué, et donc les contours de ce qu'il pourra y faire, sans risquer de ce voir reprocher un changement de destination, pouvant justifier une augmentation de son loyer, voire la résiliation du bail.

Fournir des locaux adaptées juridiquement et matériellement à la destination autorisée apparait ainsi comme un élément essentiel de l'obligation de délivrance du bailleur

Or, les baux contiennent souvent des clauses visant à limiter cette obligation de délivrance du bailleur, par diverses clauses,

-mettant à la charge du locataire l’obtention des autorisations administratives éventuellement nécessaires à l’exploitation de l’activité autorisée au bail ou,

-limitant au maximum les obligations de travaux à la charge du bailleur, en mettant à la charge du bailleur les travaux de mises aux normes ou d’adaptation des locaux à l’activité autorisée (tels que création des extractions de fumées pour un local destiné à la restauration ou les travaux relatifs à l’accès des locaux aux personnes à mobilité réduite par exemple).

Il n’est pas rare alors que, ce qui paraissait acceptable par le preneur dans l’excitation de la signature du bail, lui paraisse abusif lorsque quelques mois ou quelques années plus tard, ces clauses lui sont opposées par le bailleur pour décliner sa responsabilité ou lui refuser la prise en charges de travaux nécessaires. La jurisprudence vient alors mettre le holà, lorsqu’elle estime que ces clauses reviennent à décharger abusivement le bailleur de son obligation de délivrance, notamment au regard de l’article 1170 du code civil issue de la réforme de 2016 selon lequel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite »

La limite des clauses contractuelles :

Bien que l’adage veuille que le contrat soit la loi des parties, la jurisprudence s’applique à rappeler que cet adage ne vaut que pour autant que les dispositions contractuelles n’aillent pas à l’encontre de dispositions légales d’ordre public, voir des fondamentaux du droit des contrats.

Au regard de la jurisprudence, il peut être retenu que

-1. les clauses générales sont sans efficacité pour le bailleur

Ainsi une clause stipulant que le preneur déclare les lieux loués parfaitement conformes à leur destination contractuellement autorisée et qu’il les prend dans leur état où ils se trouvent lors de son entrée en jouissance, sans pouvoir exiger des travaux de quelque nature que ce soit, ni remise en état de la part du bailleur ne peuvent en aucun cas empêcher les juges de mettre les travaux nécessaires à la conformité des locaux avec l’activité autorisée au bail à la charge du bailleur par sa condamnation à les réaliser ou à en rembourser le cout au preneur, outre d’éventuels dommages intérêts (Cass 5 juin 2002 n°00-19.037 – Cass 2 juillet 2013 n° 11-28.496 - Cass 20 janvier 2009 n°07-20.854 – Cass 30 juin 2021 n°17-26.348)

 

-2. seules les stipulations expresses et parfaitement claires peuvent venir efficacement limiter l’obligation de délivrance du bailleur

Ainsi il a été jugé qu’en dehors d’une clause expresse du bail mettant à la charge du preneur le cout des travaux de raccordement des eaux usées et d’installation d’un raccordement au réseau électrique, ce coût devait être supporté par le bailleur des locaux loués pour l’exploitation d’une activité de fromagerie, restauration épicerie fine, de consommation sur place et à emporter (cass 11 octobre 2018 n°17-18.553)              

Etant ici précisé que cette jurisprudence pourrait être remise en cause aujourd’hui s’il était admis que les travaux en question relèveraient du 606 dont on sait qu’il est obligatoirement mis à la charge du bailleur

-3. une clause de non-recours ne peut efficacement dédouaner le bailleur de son obligation de délivrance

Ainsi récemment la cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui avait débouté un preneur de ses demandes de réduction de loyer et indemnités formées à la suite d’importantes infiltrations en vertu d’une clause du bail par laquelle le preneur s’était « engagé pour lui-même et ses assureurs à renoncer à tout recours contre le bailleur et ses assureurs du fait de la destruction ou de la détérioration totale ou partielle de tous matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises du fait de la privation ou de troubles de jouissance des lieux loués et même en cas de pertes totale ou partielle des moyens d’exploitation »

Pour la Cour de cassation une telle clause ne pouvait priver le preneur de ses demandes fondées sur un manquement de bailleur à son obligation de délivrance. (cass  10 avril 2015 n°2-14.974) Décision venant à la suite d’un arrêt de 2005 qui avait retenu qu’une clause obligeant le preneur à « souffrir sans aucune indemnité tous les travaux qui pourraient devenir utiles ou nécessaires dans les lieux loués » ne permettait pas au bailleur de s’affranchir de son obligation de délivrance et refuser d’indemniser le preneur du fait des préjudices subis par lui du fait de la réalisation des travaux (cass 1er juin 2025 n°04-12.200) 

-4. la réforme de 2014 est venue limiter les litiges liés à l’obligation de délivrance

En obligeant le Bailleur à réaliser ou prendre en charges les travaux relevant du 606, y compris en cas de vétusté ou mise aux normes, le législateur a diminué le nombre de litiges nés d’un refus du bailleur de faire les travaux du 606 en vertu d’une clause du bail les mettant à la charge du preneur. En effet ces clauses qui étaient souvent contestées comme contraires à l’obligation de délivrance du bailleur sont aujourd’hui réputées non écrites

Delphine Berthelot-Eiffel Avocat