Occupation privative d'un bien indivis : le cas de l'indivisaire bénéficiaire d'un bail et la portée de la détention des clés
En indivision, chaque indivisaire n’est pas propriétaire d’une partie identifiée de l’immeuble commun mais de son intégralité au prorata de sa quote-part.
Chaque indivisaire dispose ainsi de l’ensemble des droits inhérents à la propriété immobilière que sont les droits de jouissance, d’administration et de disposition.
Chaque indivisaire peut, au même titre que les autres prétendre à la jouissance du bien indivis (pour y habiter par exemple), à charge de verser aux autres une indemnité d’occupation.
L’article 815-9 dispose ainsi que « chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire par le président du tribunal.
L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. »
Si le bien indivis peut bien entendu être loué à un tiers au bénéfice de l’ensemble des indivisaires, il n’est pas rare que le bien soit attribué ou, dans les faits, occupé par l’un des coindivisaires qui est alors redevable d’une indemnité égale à la valeur locative du bien.
Le cas de l'indivisaire bénéficiaire d'un bail antérieur
Selon la jurisprudence, lorsqu’il a, préalablement à l’indivision, bénéficié d’un bail, fusse-il verbal et à un loyer inférieur à la valeur locative, cet indivisaire peut continuer à bénéficier de sa qualité de locataire après la naissance de l’indivision.
C'est ce qu'a estimé la Cour de Cassation, dans une affaire où, avant son décès ayant fait naitre l'indivision, un père avait consenti un bail verbal à sa fille.
Une indivision étant née à son décès, entre cette dernière et ses frères, ceux-ci avaient sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation sur la base de l’article 815-9, sans succès.
La Cour de cassation a en effet admis que l’indivisaire qui occupe un bien en qualité de locataire ne porte pas atteinte aux droits égaux et concurrents des autres indivisaires, qui ne peuvent pas, dès lors, prétendre à indemnisation, et ce peu important le montant du loyer (Cass civ 18 mars 2020 numéro 19-11.206).
Conseil aux parents souhaitant éviter toute dispute familiale : ne pas louer un bien à l’un de leur enfant à un prix inférieur au prix du marché.
L'occupation privative : une question de clés
Pour qu’il y ait lieu au versement d’une indemnité d’occupation par l’indivisaire occupant, les coindivisaires demandeurs doivent prouver avoir été dans l’impossibilité d’utiliser les lieux, ce qui peut être source de conflits, lorsque, par exemple, dans les faits, l’un des héritiers s’est peu à peu approprié le bien, sans pour autant que les autres aient été clairement empêchés d’y venir.
Ainsi, il a été souvent jugé qu’un indivisaire qui cesse de venir dans la résidence secondaire familiale après qu’elle soit tombée dans l’indivision au décès d'un parent, ne peut pas prétendre à une indemnité, dès lors, qu’ayant conservé ou disposé d’un jeu de clé, il ne démontre pas avoir été empêché d’exercer son droit de jouissance (cass civ 1ère 13/01/1998 n°95-12.471 – cass civ 8 juillet 1909 n° 07-19.465 – 1er juin 2017 n°16-17.887)
Or le cas n'est pas rare.
Il est en effet fréquent de constater après le décès des parents, qu'un des enfants qui, jusque là venait partager chaque années quelques semaines dans la propriété familiale auprès de ses parents, y vienne ensuite, de moins en moins souvent, puis plus du tout, soit qu'il ait préféré séjourner dans sa propre maison, soit que, son frère ou sa sœur, n’ayant pas de maison propre et ayant pris l’habitude de passer toutes leurs vacances dans l'ancienne maison familiale, il ait laissé les habitudes se prendre et choisi de voyager.
A l’inverse, le fait qu’un indivisaire n’occupe pas effectivement l’appartement dont il dispose seul des clés, ne peut pas le dispenser du paiement d’une indemnité de jouissance s’il est prouvé que les autres indivisaires ne disposaient d’aucune clé (Cass civ 31 mars 2016 n° 15-10.748)
Pour éviter toute discussion, on ne peut que conseiller aux indivisaires, de s’accorder sur la location du bien ou sur l’attribution de sa jouissance exclusive à l’un d’eux et la contrepartie financière de cette jouissance.